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Vie

Il y a trois décennies, Gilbert Duclos-Lassalle a atteint l'objectif de sa carrière de cycliste : gagner la course la plus chère à son cœur, Paris-Roubaix. Puis il a de nouveau gagné l'année suivante, en 1993. Nous avons rencontré le charmant et perspicace Français de 67 ans pour parler de sa carrière, de ses coéquipiers préférés et des innovations technologiques des années 1990 et de nos jours. Ci-dessous une transcription éditée :

Vous avez eu une carrière légendaire, et vous êtes toujours investi dans le cyclisme. Pouvez-vous nous en en dire un peu plus, de votre implication dans le cyclisme aujourd'hui ? Quel type de vélo pratiquez-vous le plus et où aimez-vous rouler ?

Oh, je vais vous décevoir : personnellement, je ne roule plus ! J’ai gardé deux ou trois vélos, dont le vélo Lemond du Tour de France que l’équipe avait gagné avec Greg, et le dernier de ma carrière, un Eddy Merckx de 1995. Ils sont accrochés dans mon garage !

Cependant, en effet, j’ai gardé un pied dans le cyclisme. Je suis l’organisateur d’une course Elite Nationale par étapes, le Tour du Piémont Pyrénéen, qui se dispute début juillet, en trois jours et sur quatre étapes. Mauri Vansevenant, actuel coureur de la Deceuninck-Quick Step, a gagné en 2019. Julian Alaphilippe, aussi, à l’époque où il courait pour l’Armée de Terre, en a remporté plusieurs étapes. Le reste de l’année je suis le président du Lescar Vélo Sprint,un club de DN3. Alors je suis sur les courses, pas systématiquement, mais de temps en temps. C’est un club de formation. Il y a de tout, des routiers et des vététistes, des cadets, des juniors et des seniors. Mais surtout, nous cherchons à trouver les meilleurs talents du département et des départements limitrophes. Notre classement en DN3 nous permet, par exemple, d’aligner sur de belles courses, des jeunes qui sortent de la catégorie junior (U19) et qui n’ont pas encore été détectés. Note rôle, c’est alors de les amener au seuil du haut niveau. 

Au tout début, comment avez-vous découvert le cyclisme ? Avez-vous commencé la course à un jeune âge? Qui étaient vos héros cyclistes ?

Le vélo j’y suis venu complètement par hasard. Moi, tout jeune, je voulais être mécanicien et je rêvais de régler des voitures de course. Puis j’ai rencontré le dirigeant d’un club. Je ne faisais pas beaucoup de sport. Ici dans la région, les sports populaires, c’était le rugby et le basket. Je me suis donc lancé dans le cyclisme à l’âge de 16 ans, et à 21 ans j’étais chez les pros, pour une assez longue période : 19 ans.

 

Pour ma première année, je n’ai pas gagné de course, mais j’ai fini toujours dans les dix premiers. La suivante, j’en ai remporté deux. La troisième je suis champion de mon département. La quatrième j’évolue au meilleur niveau amateur. Puis j’intègre le Bataillon de Joinville [dans le cadre du service militaire obligatoire, ndr.] où j’ai des contacts pour passer chez les pros. Cette année-là je décroche de belles victoires dans le Tour de l’Avenir, le Tour d’Autriche, le Tour du Béarn.

Mon héros, c’était Eddy Merckx, j’avais fait peindre mon vélo aux mêmes couleurs que le sien, je mettais de la guidoline marron comme lui. Mais ça, c’est après que j’ai été plongé dans le cyclisme. Avant ça, gamin, je ne m’y intéressais pas particulièrement, je n’avais pas cette culture.

–Gilbert Duclos-Lassalle

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Illustration by Ann Escamilla

Quelle est la culture cycliste locale, à Lembeye ? Avez-vous souvent couru en Espagne quand vous étiez jeune ?

Oui, quand j’étais jeune on allait courir en Espagne - et aujourd’hui, j’y conduis toujours les jeunes du club, d’ailleurs. Depuis les Pyrénées on n’avait que la frontière à passer, et toutes les belles courses étaient à portée. Il y avait le Tour de Béarn-Aragon, en quatre jours, très montagneux, et où j’avais bien marché. Je crois que je m’étais classé 4è du général et 2è du classement par points. Alors que dans l’autre sens, vers le Nord, il fallait traverser la France pour courir les épreuves intéressantes, c’était plus compliqué. 

Vous avez couru professionnel de 1977 à 1995, une très longue carrière ! Qu'est-ce qui a contribué à votre longévité ?

Disons d’abord que je remercie le bon Dieu de m’avoir donné une bonne santé. Parce que je ne sais pas ce qu’est qu’une tendinite, ou une élongation. Que je passais bien à travers le froid, et que la chaleur ne me gênait pas. Donc c’est ça, qui ma permis de faire une longue carrière - et puis le sérieux, bien sûr. Mais même quand j’ai eu remporté mes plus belles courses, comme Paris-Nice, ou Bordeaux-Paris, ou le Tour de Suède, le Midi-Libre, le GP de Plouay, à la fin de lannée, je remettais toujours le compteur à zéro : je voulais repartir avec l’idée que je n’avais rien gagné, que j’avais toujours tout à prouver. Ça créait une sorte d’état d’urgence, qui me motivait.

Quand vous débutez une carrière, certaines courses vous séduisent plus que d’autres. Moi, j’ai adoré Paris-Roubaix dès ma première expérience : je l’ai trouvée grandiose. Dans les douches après l’arrivée - je m’étais classé 25è, mais j’avais fini, et Jean-Pierre Danguillaume m’avait dit : là, tu es arrivé dans la cour des grands.

–Gilbert Duclos-Lassalle

Alors, justement. Vous aviez 37 ans en 1992 lorsque vous avez remporté Paris-Roubaix pour la première fois, après avoir terminé deux fois deuxième. Comment cette victoire a-t-elle changé votre vie ?

Avant de gagner j’avais déjà collectionné pas mal de bons classements dans cette course - en tout, j’ai du rentrer 12 fois dans les 10 premiers, sur 17 participations. Je courais de toute mon âme après cette victoire, c’est vrai, mais j’étais passé tant de fois à deux doigts d’y parvenir que ma victoire n’a pas été un bouleversement radical. Pour moi elle s’inscrivait dans une logique de progression, et la visée tenace d’un objectif. Précédemment j’avais fait des erreurs de jeunesse, comme la fois où je termine second derrière Francesco Moser. Avec Paris-Roubaix, j’étais dans une sorte de familiarité. 

À quel point l'expérience a-t-elle été différente en 1993, de remporter Paris-Roubaix pour la deuxième fois, au sprint serré cette fois-ci ?

Après ma première victoire, j’avais éprouvé une certaine frustration : c’est vrai que c’était normal que j’aie fini par l’emporter, puisque j’étais devenu un bon spécialiste de la course. Mais tout de même, la presse semblait ne pas en faire grand cas. Duclos a gagné, c’est justice, c’est normal, mais rien de plus… comme s’il n’y avait rien à célébrer. Alors je m’étais dit, je remets les compteurs à zéro, et il faut que je gagne à nouveau. Bon, en 1993 je me retrouve à nouveau dans l’échappée - la chance est avec moi, qui avait éliminé quelques coureurs sur crevaison et m’avait permis de revenir. Plus loin, quand je sors du Carrefour de l’Arbre avec le seul Ballerini, j’avais déjà réussi mon pari : au pire je faisais deux, mais de toute façon j’avais confirmé que ma victoire de l’année précédente n’était pas un hasard. Alors, battre Franco au sprint a été une énorme joie. Ce que je prouvais avec cette seconde victoire, c’était que je n’étais pas seulement ce coureur à panache, mais que j’étais aussi un fin tacticien, un capitaine de route qui savait manoeuvrer ses adversaires. J’ai gagné sur deux registres différents, au fond.

Quelles sont les caractéristiques et les qualités qui font qu'un coureur est bon pour Paris-Roubaix ? Est-ce différent de toutes les autres courses, même des autres courses pavées ?

Eh bien, il faut évidemment des qualités de puissance et un certain gabarit. Ensuite tout dépend de quel Paris-Roubaix on parle : le sec ou le mouillé ? Si c’est sec, il faut cette puissance, et des qualités morales : ne jamais baisser les bras malgré les chutes, les crevaisons. C’est une course qui est susceptible de renversements spectaculaires jusqu’à la fin. Et quand c’est mouillé, en plus du reste, il faut être un brin acrobate. Moi je n’avais pas peur. Je ne freinais pas, et j’étais relativement agile grâce à la pratique de la piste. La piste est la meilleure des écoles, pourquoi : parce que tu n’as pas de freins ! L’expérience acquise dans les courses de Six-Jours m’a été très utile sur la route.

Qu'avez-vous pensé cette année de Paris-Roubaix dans la boue de l'automne ?

Bien sûr, je l’ai regardé à la télévision. Les coureurs sont sans doute de plus en plus habiles, ou plus nombreux à être habiles, mais la course reste fidèle à elle-même. C’est une course où l’on bénéficie des progrès techniques sur le matériel, mais dont le « coeur » est immuable, et qui exigera toujours les mêmes qualités de la part des coureurs. En plus c’est une course qui représente toujours un gros risque, vous pouvez y laisser votre saison. La charge émotionnelle, l’intensité dramatique reste la même.

 

Comment s'est passée votre première expérience avec les pédales TIME ? Qu'avez-vous remarqué de différent à leur sujet ?

Dès qu’on nous a fait essayer les Time, je ne les ai plus quittées. J’ai adopté tout de suite le combo pédale-et-chaussure. Honnêtement, la liberté angulaire qui en a libéré certains, pour moi ça ne changeait pas grand-chose : mais le rendement était parfait, car là aussi, on était à 3 ou 4 mm de l’axe, et surtout la sécurité était bien supérieure, ce qui donne confiance. Il n’y avait plus de questions à se poser.

 

Quels avantages les pédales automatiques ont-elles apportées au cyclisme à la fin des années 80 par rapport aux pédales à l'ancienne avec cale-pieds ? Selon vous, quelles caractéristiques font aujourd'hui une excellente pédale automatique ? Aviez-vous un modèle préféré de pédales TIME des années 1990 ?

Les avantages par rapport aux cales-pieds sont incommensurables, sur tous les plans : efficacité, sécurité, facilité d’utilisation. Avec les cales-pieds, il fallait régler sa cale sous la chaussure, et quand j’ai commencé les cales n’étaient même pas amovibles: elles n’étaient pas vissées, mais clouées ! Fallait pas se louper, sur la profondeur d’engagement du pied ou sur l’orientation, au moment de les positionner ! Cela étant, je ne faisais pas partie de ces coureurs qui ont du mal à régler leur orientation, parce qu’elle n’est pas identique d’un côté et de l’autre, par exemple. 

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Même sur le plan du style, après les chaussures noires à lacets, c’était un vrai changement d’époque, et qui a ouvert la voie à la créativité des fabricants.

–Gilbert Duclos-Lassalle

Vous êtes célèbre pour avoir mené des fourches RockShox à la victoire à Paris-Roubaix. Qu'est-ce qui vous a décidé à utiliser RockShox ? Cela semble-t-il maintenant naturel que les vélos de gravel aient des systèmes de suspension de RockShox ?

Un jour de 1991, nous étions à Neuville-en-Ferrain, dans le cadre d’une campagne de courses belges, Roger [Legeay] nous a demandé de descendre. Greg était dans l’équipe déjà. Un ingénieur de la marque RockShox était là, avec un vélo complet, équipé de la fourche. Dans la rue devant l’hôtel, il désigne le trottoir et nous propose de l’aborder pleine face, en disant “Vous allez voir, vous ne le sentirez pas.” J’ai essayé et j’ai trouvé ça génial. Ensuite il a réglé une fourche pour mon vélo, en fonction de mon poids et de mon style, pour nous c’était un peu mystérieux. Et il m’a montré : il y avait une molette graduée de 1 à 5 de chaque côté de la fourche, au sommet de chaque fourreau, que je n’avais qu’à régler en fonction de la difficulté que j’éprouvais sur les pavés. Pendant la course je n’ai cessé de changer d’un secteur pavé à l’autre. La première année, je fais mes réglages, mes essais etc. Je me pointe au départ de Paris-Roubaix, tout le monde me posait des questions. j’ai terminé septième. À la fin de la course, je n’avais pas mal aux poignets - ça en dit long sur l’avantage procuré ! Dès 1992, je gagne Paris-Roubaix, la plus grande des classiques sur route, avec une fourche de VTT : j’imagine que pour RockShox, le coup de publicité a été fabuleux. Après ça, ils ont essayé de me fabriquer un vélo tout suspendu : il était magnifique et précurseur, mais le triangle arrière n’était pas suffisamment verrouillé, et ça n’a pas été concluant.

On avait un contrat d’exclusivité. Tchmil ne l’a utilisée qu’après 1995, mais il avait essayé un modèle concurrent dès 1993. Il était venu me demander conseil sur les réglages, mais je lui avais donné de mauvaises indications (rires) !

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Duclos-Lassalle Photos © Getty Images

Selon vous, quelles sont les plus grandes innovations actuelles dans le cyclisme sur route ? Pneus tubeless ? Pneus plus larges ?

Après la pédale, le dérailleur électronique est la plus belle innovation pour la compétition - non seulement c’est rapide et on peut ajuster son braquet en plein sprint, mais je pense aussi au froid : avec les mains gelées il était difficile d’actionner les leviers mécaniques.

On avait des pneus Michelin, mais on ne roulait pas avec, ils n’étaient pas encore au même niveau de rendement que les boyaux. Je me suis rendu avec Francis Castaing chez Michelin, où j’ai testé des pneus « à l’aveugle » sur leur piste d’essai. Leur avantage concurrentiel à l’époque se situait au niveau de la qualité de la gomme, mais les carcasses n’étaient pas encore assez souples. Quant à changer de pneu en pleine course en fonction de la météo, ça n’est pas facile. D’autant qu’à l’époque - sauf sur le Tour - il n’y avait qu’une voiture de directeur sportif par équipe, et dix coureurs par équipe.

Concernant la section de pneus, je n’ai jamais mis plus gros que 23mm, et seulement sur Paris-Roubaix. Mais De Vlaeminck, le plus grand spécialiste, ne montait que des 21mm. Aujourd’hui j’entends les coureurs dire que le rendement est meilleur avec des 26 ou 28mm, mais j’ai du mal à m’en convaincre. Je me demande si l’augmentation des sections de pneus ne vient pas compenser la trop grande rigidité des vélos. Il ne reste que le pneu pour dissiper les chocs. Les vélos actuels ont une réactivité extraordinaire, mais l’envers de la médaille, c’est qu’ils rebondissent sur la moindre aspérité.

 

Considérez-vous les pneus tubeless comme particulièrement avantageux à Paris-Roubaix ?

Absolument ! Même si je n’ai jamais testé personnellement les pneus tubeless, je le pense. C’est même ce que j’avais dit aux ingénieurs Michelin lors de cette visite de 1983 : “Vos pneus auront une chance de remplacer les boyaux quand ils seront tubeless » ! Or, à l’époque, l’obstacle à la réalisation de tubeless, c’était l’étroitesse de la jante.

Quels étaient vos coéquipiers préférés ? Comment était-ce de courir avec Greg LeMond ?

J’ai joué un rôle de capitaine de route auprès de Greg. Il avait gagné le Tour chez ADR sans coéquipier. Avec nous il a été bien entouré, je crois même qu’il doit cette seconde victoire à l’équipe (LeMond était des Tours consécutifs en 1989-90; il a également gagné en 1986), et j’en suis fier. Greg, en dépit de son statut, était à l’écoute. Après, vous savez, les coéquipiers sont des collègues de boulot ! (rires)

Au-delà de Paris-Roubaix, quelle est votre autre course préférée ?

Difficile : je place Paris-Roubaix tellement au-dessus des autres ! Mais, bien sûr, il avait d’autres épreuves que j’aimais courir : Paris-Nice, par exemple, même si elle faisait partie de ma montée en puissance vers le deuxième dimanche d’avril. Et puis, j’ai toujours aimé les monuments - questions de respect par rapport à mon sport. Je suis attaché à certaines traditions et, par exemple, ça me chagrine de voir qu’on dénature Paris-Tours, avec ces chemins de cailloux. Paris-Tours c’est la course des sprinters, pourquoi vouloir changer absolument ? Enfin la transformation de Bordeaux-Paris m’a beaucoup affecté. En l’ouvrant aux cyclos, on l’a démythifiée.

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Quel était le kit d'équipe préféré de votre carrière de cycliste ? Zed ? Peugeot ? Vous avez roulé pour des équipes emblématiques !

J’ai surtout apprécié le passage des maillots en laine aux maillots synthétiques ! Avant il fallait laver cuissard et maillot à la main et à l’eau froide pour éviter que ça rétrécisse ! (rires)

Ça nous a changé la vie, autant que le passage des cale-pieds au pédales auto ! Après, bien sûr, la tenue Z (Zed) a marqué un changement d’époque - c’est le début de l’histoire de la communication dans le vélo. M.Zannier (Fondateur de Z) a montré toute l’importance d’être bien visibles, de se distinguer.

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